Edo : là où la coexistence entre homme et nature se traduit en harmonie.
N’avez-vous jamais pensé aux animaux de compagnie dans les époques passées ? Quel genre de rapport entretenaient-ils avec les humains ? Peut-être qu’en regardant votre chat qui ronronne à côté de vous, ou bien votre chien qui joue avec vous, cette question vous est venue à l’esprit ; et la Maison de la Culture du Japon essaye justement d’y répondre. Avec une grande variété d’objets – livrets de chasse, estampes, jouets pour enfants – elle vous présente l’exposition appelée « Un Bestiaire Japonais », qui se tient du 9 novembre 2022 au 21 janvier 2023, en collaboration avec le Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.
Au deuxième étage de la Maison de la Culture du Japon, située en plein cœur de Paris, vous pourrez vous immerger dans le lien hommes-animaux du Japon de l’époque d’Edo (1600-1603* – 1868) : une ville où les cloisons entre sauvage et citadin ne sont pas si épais.
© Album des insectes choisis – Kitagawa Utamaro, 1787, collection du Edo-Tokyo Museum
L’exposition se déroule par sections qui dépeignent un croquis de la coexistence des humains avec la nature dans l’ancienne Tōkyō. La première concerne les animaux domestiqués tels que les chevaux et les chiens. Edo était une ville dédale construite par quartier, chacun doté d’un portail qui fermait le soir.
Les chiens étaient chargés de monter la garde et de jouer avec les enfants. Il y avait une bonne entente homme-chien car ils les alertaient des incendies, des problèmes et de dangers du quartier. Le cheval était, quant à lui, très utilisé notamment chez la noblesse guerrière lorsqu’elle devait rendre visite au shōgun une fois par an. Le cinquième shōgun (将軍) Tokugawa Tsuneyoshi* (1646 – 1709) promulgua d’ailleurs un décret qui bannit l’abandon d’un cheval, demandant ainsi de la commisération envers cet animal, en raison de l’hygiène et de l’ordre public. Dès lors, si on abandonnait un cheval, on risquait la peine de mort.
Les concours au Japon remontent aux temps anciens. Il y avait de concours de poèmes, de paravents, de thé, d’encens et ainsi de suite. Ce n’est donc pas étonnant de constater l’existence du concours de cailles : dans un rare paravent exposé, y sont représentés environ quarante cages de cailles, ainsi qu’une personne se rapprochant des cages qui, d’un geste, les fait chanter. Ce qui est intéressant, c’est la différence entre les propriétaires de cailles. L’époque d’Edo est caractérisée par une forte hiérarchisation des classes sociales. Mais malgré cette classification, dans ces circonstances, la noblesse guerrière côtoyait les autres couches de la société. Certains ont des sabres – symbole des guerriers -, tandis que d’autres sont des citadins et riches commerçants.
De gauche à droite : © Paravent du concours de chants de cailles , Anonyme, fin de l’époque d’Edo – seconde moitié du XVIIIe siècle ( 1751 – 1799), collection du Edo-Tokyo Museum
© Cortège solennel des seigneurs lors du nouvel an (détail), Kobayashi Kiyochika, 1880, collection du Edo-Tokyo Museum
© Cortège d’une mission diplomatique coréenne Ono Tōrin, 1682, collection Edo-Tokyo Museum
La deuxième section concerne les animaux sauvages. À l’aide des images, il est possible de comprendre que les alentours de la capitale restaient sauvages pour permettre au shōgun la chasse au faucon et la chasse aux cerfs. La première permettait de chasser également les grues (tsuru 鶴) une fois par an, animal symbole de longévité, afin de l’offrir à l’Empereur. Le deuxième servait également à chasser les cervidés, sangliers et bien d’autres. Derrière ce type de chasse se cachait un grand aménagement paysager et une forte contrainte de la part des paysans qui ne pouvaient pas créer de champ agricole, afin de préserver l’habitat des grues.
© Enceinte extérieure du château de Chiyoda : La prise de la grue, Yôshû Chikanobu, 1897, collection du Edo-Tokyo Museum
Les deux dernières sections se focalisent sur les animaux rares et sur la représentation des animaux dans l’art décoratifs. L’intérêt pour les animaux rares se développe à partir de la fin de l’époque d’Edo, lorsque les contacts avec le continent et l’Occident s’intensifient. Ainsi, le goût des animaux rares s’accroît, jusqu’à créer le premier zoo japonais, copiant ceux des Européens. Les spectateurs pouvaient y trouver des girafes, des éléphants et des singes. Cependant, le gouvernement militaire a décidé de créer des lois très strictes pour ne pas créer trop de désordre.
Gauche : © Grand éléphant des Indes nouvellement arrivé au Japon par bateau, Ryôko, 1863, collection du Edo-Tokyo Museum
Droite : © Cent vues du grand Tokyo à l’ère Shôwa (édition définitive) : 48e vue – Zoo au printemps, Koizumi Kishio, 1934, collection du Edo-Tokyo Museum
Enfin, les animaux dans l’art décoratifs étaient représentés sur différents objets du quotidien : sur une amulette contre la variole pour les enfants, ou encore sur une veste de nuit pour faire office de bonne augure.
Première image : © Vêtement de nuit à motif de paon, ère Meiji (XIXe siècle), collection du Edo-Tokyo Museum & © Blague à tabac à décor de glycine et de singe brodés, époque d’Edo ( 1603 – 1868), collection du Edo-Tokyo Museum
Deuxième image : © Brûleur anti-moustique en forme de chat, 1926-1945, collection du Edo-Tokyo Museum.
Les saisons également sont un thème central dans la tradition japonaise. De provenance chinoise, le calendrier luni-solaire se divisait en 12 mois et en 12 animaux. D’ailleurs, ces animaux se retrouvent au sein des estampes de belles personnes ou de jolies filles (bijin 美人), telles que celle du serpent (hebi 蛇), messager du dieu des arts, et la souris (nezumi 鼠) est le messager du dieu de la prospérité (Daikokuten 大黒天).
© Coutumes et bonheurs de l’Est : Les souris de la prospérité, Yôshû Chikanobu, 1890, collection du Edo-Tokyo Museum
Pendant ces mois hivernaux, lorsque vous voulez prendre une pause dans votre quotidien, venez à la Maison de la culture du Japon, où Edo, la ville-jardin, vous attend dans un labyrinthe d’harmonie entre les hommes et les animaux de l’époque. Une ville jardin à contempler, vivre et sentir.
Image sur la droite : © Célèbres lapins d’aujourd’hui, Anonyme, début de l’ère Meiji (1868-1877), collection du Edo-Tokyo Museum
Image sur la gauche : © Cent vues célèbres d’Edo : Feux volants des renards sous l’Arbre aux Habits d’Ôji le dernier jour de l’année, Utagawa Hiroshige, 1857, collection du Edo-Tokyo Museum
Par Paolo Falcone
*Le début de l’époque d’Edo est, de nos jours, débattu au sein des académiciens. Les deux dates soulignent deux événements importants qui caractérisent le début de cette nouvelle époque. En 1600, nous assistons à la bataille de Sekigahara (Sekigahara no tatakai 関ヶ原の戦い), autrement appelé « La bataille qui décida les sorts du pays » (Tenka wakeme no kassen 天下分け目の合戦). La victoire de Tokugawa Ieyasu consolida son pouvoir. En 1603, nous avons l’établissement officiel du gouvernement militaire (bakufu 幕府), avec en-tête Tokugawa Ieyasu, qui signe le début de l’époque d’Edo.
*L’écriture des noms japonais commence d’abord par le nom de famille et ensuite le prénom.
Image de couverture : © Trente-deux façons d’être : Être agaçante – Façon d’être d’une jeune femme de l’ère Kansei, Tsukioka Yoshitoshi, 1888, collection du Edo-Tokyo Museum