L’histoire d’ABE Sada ou l’histoire de la tueuse au sourire paisible…
Elle me disait : « J’ai toujours trouvé bizarre que les humains soient attirés par le macabre. L’histoire, les protagonistes, la scène : tout est présenté par la presse comme une pièce de théâtre. Les scénarios et les langues changent, mais l’intérêt morbide pour ces faits divers se retrouve partout dans le monde. Par exemple, tu connais l’affaire Sada ? Son histoire a créé tellement de rumeurs, qu’elle a inspiré, entre autres, le film L’Empire de sens de Nagisa Ōshima et plusieurs ouvrages écrits. La presse était aux anges, le public voulait en savoir toujours plus. Le Japon était secoué par des vagues de frissons de Sapporo à Okinawa. Après avoir été sur la bouche de Kichizō Ishida, son amant et victime, Sada était sur la bouche de tout le monde. La nuit du 18 mai 1936, le tatami s’est taché d’un rouge écarlate, à jamais. » [Source : expédiant narratif]
Le 22 septembre de la même année, jour où le juge condamnait ABE Sada, elle était en train de se brosser les cheveux froidement, en dehors de la salle du tribunal. Elle a été condamnée à 5 ou 6 ans d’emprisonnement. Le juge ne justifiait pas sa conduite. Il ne justifiait non plus le comportement de la victime qui, avec une famille et un amour fou envers cette femme, s’était laissée séduire par le petit lacet du kimono de Sada, ce qui lui a coûta la vie.
Mais qu’est-ce qu’il s’est vraiment passé ?
Imaginez-vous pouvoir remonter dans le passé, au mois de mai de l’an 1936 au Japon. Nous sommes en plein milieu de l’ère Shōwa, au sein d’un gouvernement fortement nationaliste, qui accable la population de demandes onéreuses. Pour s’évader de ce voile de fer, cette dernière cherchait alors dans les faits divers, la musique et les arts un divertissement léger qui la distrayait de la réalité sombre de la politique japonaise. L’affaire Sada était le fait divers que tout le monde attendait.
Sur le plan littéraire, à cette époque, se développent les affaires qui chassent le bizarre (ryôki jiken 猟奇事件), qui comprend un spectre de meurtres aux façons « bizarres » ou « excentriques ». Ces crimes sont souvent liés à des meurtres par cannibalisme ou bien, des crimes dont le corps de la victime a été retrouvé en mille morceaux.
À cela s’ajoute un deuxième courant, qui a conquis le milieu littéraire de l’époque, appelé ero-guro (エロ・グロ). Son appellation vient de deux mots anglais « erocitism » et « grotesque », et ont été repris et raccourci afin de désigner ce qui s’oppose aux beaux-arts. Ce courant artistique exacerbe alors ces deux aspects au sein d’une pièce artistique. Ainsi, l’affaire Sada coche toutes les cases de l’ambiance artistique de l’époque.
Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur la vie d’ABE Sada. Nous savons qu’elle est née en 1905, et que sa famille habitait dans le quartier Kanda à Tokyo. Dès le début, les informations sont floues. Elle était la septième fille d’une fratrie de huit, et la famille travaillait dur pour se maintenir. Les frères de Sada avaient des déviances et, afin de la protéger de ces comportements nuisibles, ses parents l’ont envoyée à une école de luth à trois cordes (le célèbre shamisen 三味線, qui littéralement signifie « instrument à trois cordes parfumées »). Elle s’est éprise de passion par cet instrument, et croyait qu’elle se trouvait dans cette école pour expier un pêché dû à sa promiscuité. Cependant, comme elle était geisha de bas rang, son rôle était majoritairement celui de satisfaire sexuellement les clients ( elle avait commencé l’école de shamisen pour devenir geisha, mais finalement a été reléguée au rang le plus bas, celui de prostituée – oiran 花魁 -). Ainsi, elle finit par devenir une prostituée. Elle tentera de sortir de ce monde, mais elle y tombera de nouveau, jusqu’à ce qu’elle rencontre Kichizō Ishida, sa nouvelle flamme.
Cependant, ni elle ni Kichizō ne savaient alors qu’ils allaient se brûler à la puissance de leur amour. Kichizō avait une famille avec des enfants et possédait un magasin d’anguilles. Après quelques mois de passion intense, il décida toutefois de mettre fin à cette relation. Il paraît que le 17 mai, Sada acheta un couteau et que le soir même, elle étrangla presque Kichizō avec le lacet de sa ceinture du kimono, l’obi (帯). Surprise de son geste, elle lui demanda alors s’il avait besoin d’un médecin, mais il préféra se rendre seul à la pharmacie, pour acheter des médicaments.
Mais finalement, le 18 mai 1936, le cordon de son kimono glissa autour du cou de son amant et l’étrangla. Ensuite, elle écrivit avec le sang de son partenaire « Sada, Kichizō, ensemble » (Sada, Kichizō Futarikiri 定吉二人きり).
Elle continuait à me parler de l’affaire Sada : « …. Ces caractères chinois, écrits avec le sang étaient de trois centimètres épais, et les avait écrit sur sa hanche. Ensuite, elle amis son cordon autour du cou [de Kichizō] et partit, le laissant dans une mare de sang. Après les années de prison, elle changea de nom en Masako, pour tenter de partir de zéro. Mais même aujourd’hui, les échos de son accident fascinent les gens et la hantent. » [Source : expédiant narratif]
Sources :
- MITROVIC Jasmina, « A Love worth dying for? : Abe Sada », GATA Magazine, URL : https://gatamagazine.com/articles/culture/a-love-worth-dying-for-abe-sada, consulté le 27 juillet 2022.
- DUBESSET-CHATELAIN Laure, « Japon : qui est Sada Abe, la geisha qui a inspiré l’Empire des sens? », GEO, URL : https://www.geo.fr/voyage/japon-qui-est-sada-abe-la-geisha-qui-a-inspire-l-empire-des-sens-184981 , consulté le 27 juillet 2022.
- KOIKE Atarashi 小池新し et WAKAUME Shinji 若梅信次, 恋人の「局所」を切り取った阿部定事件の真相――逮捕直後の写真で阿部定は笑っている [La vérité sur l’Affaire Sada, la petite amie qui a évisceré son copain – Abe Sada souriante après son arrestation], Bunshun Onrain, URL : https://bunshun.jp/articles/-/12016, consulté le 27 juillet 2022.
Par Paolo Falcone