Des haïku pour chaque moment de la journée, des haïku pour un instant, des haïku pour toujours.
Pascale Senk est auteure, journaliste, haijin et animatrice d’atelier d’initiation à l’écriture et à la philosophie du haïku. Auteure de plusieurs essais sur les haïku, tel une fleur de prunier, elle paraît au début du printemps, avec l’édition et la publication de son recueil de ces courts poèmes, le 9 mars 2022, intitulé Ciel changeant – haïkus du jour et de la nuit, par Leduc éditeur.
Elle nous amène dans une promenade durant toute une journée, du petit matin au cœur de la nuit, avec des « souffles poétiques » qui cadence chaque partie de la journée. Ainsi, le lecteur (re)découvre les vibrations du quotidien. Du moment où la cloison entre le monde réel et celui de rêves n’est pas si nette, des images de nos passés et de la journée surgissent, tel ce haïku du petit matin, lorsque nous nous branchons avec notre cerveau, et tentons de chercher la bonne longueur d’onde.
« Petit matin » p. 53 :
Solstice d’hiver
Soudain ma mère dévoile
Tous ses cheveux blancs
Le souci d’un parent chéri qui vieillit à vue d’œil, l’inquiétude de son court avenir qui devient une certitude, tout cela tourbillonne dans nos couettes, dans nos esprits, lorsque nous réveillons. Mais en tant que souffle, cette « pensée-haïku » ne dure pas longtemps. Nous nous levons, nous contemplons notre endroit et, après avoir mangé, nous sortons vivre.
Le matin se passe avec plus au moins d’énergie, jusqu’à arriver au début après-midi, où un Morphée, jaloux de nous, tend ses bras pour nous ramener vers lui.
« Début d’après-midi » p.130 :
Averse soudaine
Ma sieste s’allège
Dans cette berceuse
La pluie est son complice et, après avoir mangé, elle nous transporte dans ce monde ouaté qu’est le début d’après-midi. Tout s’estompe, et Madame Senk nous montre comment l’énergie du matin laisse la place à un autre type d’énergie : celle du bercement des vagues de l’après-déjeuner.
Ensuite, l’après-midi nous accueille avec une force nouvelle, un « nouveau-nous » prêt aux dernières taches de la journée et à la détente méritée. Ainsi, en sortant de chez nous, de notre travail, de notre université, de notre tête, nous flânons dans la ville, et nous voyons des détails qui prennent une autre nuance. Si nous avons la chance de pouvoir nous balader, les éléments du quotidien jaillissent dans nos sens.
« Après-midi » p. 161 :
Parc en automne
La conversation sans mots
Des chaises vides
Le non-dit d’une conversation avec une personne chère, les sentiments sous-jacents de notre « for intérieur » pour reprendre l’une des possibles traductions de « cœur », du japonais ancien. L’automne, les feuilles mortes, deux chaises qui nous ramènent à un temps avec une personne qui n’est plus dans notre vie, mais qui se cache à jamais dans les allées de notre cœur, dans un silence aussi apaisant qu’assourdissant.
Les saisons sont au centre de la culture du pays du Soleil Levant, et depuis les premiers recueils de poèmes classiques, les Japonais accordent une place prépondérante aux cycles saisonniers qui caressent leur archipel.
L’écrivaine suit cette passion saisonnière dans ces haïku, grâce à des kigo – « mots de saisons » – de notre temps. Par exemple, les nuits d’été, lorsque nous rentrons tard d’une soirée, dans les ruelles à côté de la mer, de parfums attisent notre odorat :
« Nuit » p. 245 :
Buisson de jasmin
Ce parfum qui m’arrête
Au coin de la nuit
Ainsi, Madame Senk nous tend la main pour nous accoutumer à cette sensation de quelques secondes qu’est le haïku. Avant d’exposer tous ses courts poèmes, elle nous présente les circonstances de chaque moment de la journée, à la façon des recueils d’haikai (俳諧) qui annonçaient les raisons ou les moments de la composition avec leur kotobagaki (詞書き), bien que plus détaillés et nourris. Elle met en place l’atmosphère avec de mots brefs et clairs. Et bien que l’écrivaine suive et fasse ressentir les différents moments de la journée et de la nuit, les images du quotidien s’estompent avant même de se créer dans notre esprit. C’est ici l’enjeu poétique d’un haïku : un moment pour toujours, un moment éternel.
Titre : Ciel Changeant : haïkus du jour et de la nuit
Auteur : Pascale Senk
Editeur : Leduc
Nombre de pages : 192
Prix : env. 16€
Date de sortie : 9 mars 2022
Par Paolo Falcone