Tel un roman-fleuve, ce film réalisé par Yukiko Sode nous transporte dans un Japon compartimenté, où les gestes sont codifiés, et les rôles comme distribués dès la naissance…
Une atmosphère particulière où le silence règne en maître
Ce qui ressort tout d’abord, ce sont les effets sonores : dès les premières secondes de cette œuvre cinématographique, nous sommes projetés dans la capitale japonaise où le bruit est partout, de jour comme de nuit, et où le paysage urbain est hachuré d’immeubles et de grues métalliques. D’autres plans nous montrent ensuite des scènes où le silence est presque omniprésent, nous laissant dans l’expectative que se produise une action soudaine, un aléa qui viendrait briser cette ambiance silencieuse intimidante.
Deux femmes, deux mondes…
Dans cette histoire, nous suivons l’évolution de deux femmes sur plusieurs années. La première, Hanako, est une jeune femme issue d’une famille riche et traditionnelle, qui vient de se faire quitter par son fiancé. Sa famille la pousse dès lors à se remettre tout de suite en quête d’un partenaire, lui proposant même sur le vif un rendez-vous arrangé avec un célibataire au statut enviable…
De nature réservée, Hanako va alors enchainer les entrevues, ayant peur de décevoir sa famille et de devenir à défaut une « vieille fille ». La pression familiale et sociale à propos du mariage est telle qu’elle accepte tous les rendez-vous qu’on lui propose/impose… jusqu’au jour où elle fait la connaissance de Kōichirō, un homme issu également de l’aristocratie japonaise, et en conséquence, un très bon parti pour elle. Or, cet homme élégant et séduisant, bien sous tous rapports, est-il réellement le mari qu’elle espère ?
Mugi Kadowaki dans le rôle de Hanako
La seconde femme qui nous apparait dans ce film est Miki. Ayant intégrée quelques années plus tôt une université à Tokyo, elle se retrouve à devoir travailler comme hôtesse dans un bar pour payer ses études. C’est à l’occasion de son cursus universitaire qu’elle fera la connaissance de Kōichirō, étudiant à l’époque également. Hanako, sur le point de se marier, découvre alors que leur relation actuelle est ambiguë, et va vouloir rencontrer Miki.
Tandis que l’une est poussée à se marier, l’autre ne rêve que d’étudier pour devenir indépendante. Toutes deux sont soumises à des injonctions sociétales qui les inféodent malgré elles. « Une femme oisive, c’est mal vu », « Tout comme une femme carriériste », entend-t-on dans le film… de la bouche même de femmes ! Les femmes au Japon semblent alors constamment jouer les équilibristes sur un fil tenu, toujours prêt à rompre.
Et pourtant, chacune de nos héroïnes semble comprendre le jeu intérieur qui se joue chez l’autre, alors même qu’elles appartiennent à deux mondes bien distincts. Toutes deux oscillent entre espoirs et désillusions. Entre victoires et peines.
Kiko Mizuhara dans le rôle de Miki (à gauche)
Un décor intimiste
Les lieux choisis pour donner vie à l’histoire sont restreints : nous voguons de restaurants en restaurants (que ce soit pour les rendez-vous arrangés de Hanako, les repas en famille lors d’évènements particuliers, ou bien encore lors des rencontres officieuses entre Miki et Kōichirō), dans les rues de Tokyo (en taxi, en voiture ou à vélo) ainsi qu’au cœur des foyers de nos deux héroïnes (à la fois demeures luxueuses de la bonne société japonaise et maisons vétustes que se partagent une chiche famille). Une grande part est alors laissé aux non-dits, aux sous-entendus et surtout… au silence ! A noter que cela déconcertera sûrement le public occidental.
Une scénographie où la pluie est un fil conducteur
Au gré des scènes qui s’enchainent, qui s’imposent à nous sans crier gare au profit d’un découpage qui peut nous paraitre arbitraire, soudain, la pluie revient comme un élément poétique tout au long du récit. Le ciel se décharge en effet de son chagrin lors de la première rencontre de Kōichirō et sa fiancée, puis lors de leur mariage, lors d’un enterrement, mais aussi lorsque les deux amants se retrouvent à l’hôtel… Le parapluie devient alors un accessoire qui semble ne pas vouloir quitter l’écran : protégeant Hanako lorsqu’elle déambule dans les rues de Tokyo, il nous est montré lors d’un plan centré en train de s’égoutter, adossé à une chaise. La pluie rythme alors le récit, se manifestant à chaque étape clé de la vie de nos héroïnes.
Kengo Kōra (Koichiro) et Kiko Mizuhara (Miki)
Nous retenons deux choses de cette œuvre : la première, c’est le rôle primordial que joue les amies de nos héroïnes dans leur vie. La seconde, c’est le contraste entre une vie mondaine fantasmé (mais où les visages sont austères et tristes) et une vie ordinaire difficile (mais où la jovialité transparait cependant en filigrane dès qu’une accalmie se présente). Il semble toutefois que le bonheur ne soit accessible que lorsque l’on se défait de ses chaines… Hanako et Miki réussiront-elles dès lors à mener la vie dont elles rêvaient ? A découvrir au cinéma le 30 mars 2022 !
Informations sur le film :
Acteurs : Kiko Mizuhara, Mugi Kadowaki, Kengo Kōra
Réalisateur : Yukiko Sode
Langue : Japonais
Durée : 2h05
Meilleur film japonais Kinotayo 2021
Sélection officielle Rotterdam 2021
Par Léa van Cuyck