Découvrez Ouchi-Juku, un village postal situé sur une route appelée Aizu Nishikaido (Shimono Kaido) qui relie Nikko à Aizuwakamatsu, près de Fukushima, dans le Tohoku.
Durant la période Edo, les villes postales, connues sous le nom de shuku ont joué un rôle essentiel dans le système de transport et de communication du pays. Chaque village postal avait un caractère unique, avec souvent des auberges appelées honjin pour les samourai et les nobles, tandis que des hébergements plus abordables, tels que waki-honjin, s’adressaient aux roturiers.
Le village Ouchi-juku fut construit comme la troisième ville postale d’Aizu vers 1640, comptant environ 45 bâtiments et un temple. Il existe une route importante pour les échanges commerciaux et la circulation des voyageurs, reliant le domaine d’Aizu (préfecture de Fukushima), le domaine de Shibata (préfecture de Niigata), le domaine de Murakami (préfecture de Niigata) et le domaine de Yonezawa (préfecture de Yamagata).
L’organisation et la réglementation des villes postales étaient cruciales pour maintenir la circulation de l’information et des marchandises à travers l’archipel. Le shogunat Tokugawa, mis en place des règles spécifiques concernant les opérations de ces villages pour assurer la sécurité et l’ordre, reflétant l’intérêt du gouvernement de promouvoir le commerce et de consolider son contrôle sur diverses régions.
Les villages n’étaient pas seulement des plaques tournantes du commerce ; ils ont également favorisé les échanges culturels, les idées et les spécialités régionales. Cependant, à l’ère Meiji, une nouvelle route fut aménagée, la Shin-Nikko, déviant ainsi la route qui traversait le village. Il s’ensuivit des pertes pour les commerçants, qui pour certains quittèrent la région, abandonnant leur bien. Les autres durent s’adapter, devenant un village dans une région agricole, jusqu’à en oublier son existence en tant que ville postale.
En 1967, une enquête universitaire fut réalisée au niveau national concernant la faisabilité de préservation et de restauration de nombreux bâtiments, parmi lesquels les anciens villages aux maisons en toits de chaume.
Le village d’Ouchi-juku, fut distingué par le gouvernement comme “Important village de préservation des bâtiments traditionnels” en 1981 et reçu des subventions pour sa restauration. Cela fut un soulagement pour la région et une nouvelle opportunité pour les villageois.
Cependant, une importante restauration demeura nécessaire, car des décennies après la construction de la route Shin-Nikko, le village avait changé de visage et nombreuses étaient les maisons qui avaient perdu leurs toits d’origine en chaume, ces derniers ayant été remplacés par des toits en tôle ondulée. Les murs des auberges, quant à eux, devaient être restaurés dans leur état d’origine, selon la technique dokabe (土壁), qui signifie littéralement “mur de terre”. Ce type de construction pour les murs, pratiqué depuis des siècles, utilisait des matériaux naturels et locaux, comme la paille de riz, des branchages, de la boue et du sable afin de créer des murs robustes et aérés.
En plus de leurs qualités fonctionnelles, les murs dokabe confèrent aux bâtiments un charme rustique et une ambiance chaleureuse, typique des maisons traditionnelles japonaises de la période Edo.
Puis, il fallut procéder au rabotement à la fraiseuse pour retirer l’asphalte, à l’enfouissement des fils électriques et à la reconstruction des canaux d’irrigation le long de la route, dans lesquels coule une eau claire et froide des sources de montagnes, ceci afin de recréer un village authentique au cœur de la nature de l’époque d’Edo.
Enfin, il ne resta plus qu’à s’attaquer à la restauration des toits de chaume des auberges pour leur rendre leur charme et leur éclat d’antan. Pour cette partie, des spécialistes appelés kayabuki-ya sont intervenus. Ce métier traditionnel nommé Kaya buki est un art complexe et ancien nécessitant des techniques et des règles très strictes pour créer des toits durables et esthétiques à partir de chaume, un matériau de couverture naturel. Cette technique remonte à la période Jomon, lors de la construction des premiers habitats. Le processus de fabrication du chaume commence par la récolte des graminées indigènes par les agriculteurs dans des champs humides. Suivant les régions, ils peuvent être composés de tiges de céréales, de riz, de roseaux et principalement de kaya (Miscanthus sinensis) et de susuki (Miscanthus sacchariflorus), ceci durant la haute saison, à la fin de l’automne ou au début de l’hiver.
Les agriculteurs étaient responsables de la récolte et du traitement initial de la plante. Ils la séchaient au soleil, la battaient pour en extraire les fibres, puis la cardaient pour la rendre plus souple.
Ensuite intervenaient la fabrication des cordes et tresses de chanvre qui était aussi importante que les graminées et qui passait souvent par plusieurs étapes.
C’est un travail complexe et minutieux qui revenaient notamment aux épouses et aux filles des agriculteurs. Elles utilisaient des techniques traditionnelles de tissage et de tressage pour transformer les fibres de chanvre en cordages résistants et flexibles, capables de supporter le poids et les intempéries.
Des artisans spécialisés, souvent appelés kawara-shi (fabricants de tuiles), étaient également impliqués dans la production de ces matériaux de toiture.
Ils étaient chargés de concevoir et de façonner des tresses de chanvre en fonction de l’architecture des toits et des besoins spécifiques de chaque construction.
Les marchands et les commerçants jouaient un rôle crucial dans la distribution des cordes et des tresses de chanvre à travers le pays.
Ces cordes et ces tresses étaient ensuite utilisées par les kayabuki-ya, pour attacher les bottes de chaume au cadre du toit, les maintenant solidement en place et créant un toit protecteur capable de durer entre 30 et 50 ans suivant la région.
Nous avons été invités par le propriétaire des lieux, Monsieur Ishiharaya, qui nous a permis de photographier les artisans travaillant sur le toit de l’auberge.
Après nous avoir offert une collation, il nous propose de faire la découverte de son waki-honjin en pleine restauration. C’est ainsi que nous découvrons l’envers du décor : les sous-toits. L’odeur nous prend à la gorge. Je remarque que les hourdis et la paille du toit de chaume, était recouvert de goudron (Suribachi).
Il nous explique que cette couche provient de la fumée du foyer ouvert que l’on trouvait autre fois dans toutes les fermes ou maisons des régions agricoles et où les familles se réunissaient pour manger et se détendre. Certaines maisons ont toujours en fonctionnement leur Irori.
La combustion constante du foyer, alimentée par le bois et le charbon de bois, produit une fumée épaisse et huileuse qui imprègne le toit de chaume, déposant une couche de suie semblable à du goudron, ou suribachi, sur la paille et qui sert de barrière résistante à l’eau, empêchant la pluie et la neige de s’infiltrer dans le chaume et d’endommager la charpente en bois sous-jacente.
Cependant, la création de cette couche protectrice est un processus lent et laborieux, nécessitant une attention constante et l’entretien minutieux du foyer.
De plus, la fumée elle-même joue un rôle dans la lutte contre les parasites en éloignant les insectes et les rongeurs qui pourraient chercher refuge dans le toit de chaume. Cette couche sert également de retardateur de feu, augmentant la résistance du toit à l’inflammation accidentelle. C’est une propriété intéressante dans une époque où les feux à ciel ouvert étaient courants et le risque d’incendies accidentels élevé.
Cette couche de goudron, ou suribachi, est un gardien silencieux qui témoigne de l’ingéniosité et de la résilience de l’architecture traditionnelle japonaise.
C’est un héritage de siècles d’artisanats minutieux et un témoignage de la puissance des matériaux naturels depuis l’ère Jomon.
Aujourd’hui, les kayabuki-ya, les habitants et volontaires du village Ouchi-Juku, continuent à perpétuer la tradition de la toiture en chaume en utilisant des outils et des techniques transmis de génération en génération.
Leurs compétences et leur savoir-faire exceptionnels contribuent à préserver l’héritage architectural du Japon et à garantir que les bâtiments historiques et les maisons traditionnelles continuent à vivre et soient appréciés pendant encore de nombreuses années.
En 1981 (Showa 56), pour chaque village postal sélectionné, restauré et désigné comme district de préservation des bâtiments traditionnels, une charte a été établie afin de protéger et de transmettre aux générations futures le paysage de ces villages et auberges historiques, en suivant trois principes : ne pas vendre, ne pas louer, et ne pas détruire.
Par Jacky De Greef