ICHIGUCHI Keiko et Andrea Accardi nous proposent une biographie émouvante de KIYOHARA Otama. Artiste japonaise, elle a quitté son pays pour rejoindre son mari Italien. À cette occasion, nous avons eu le privilège de faire une interview de ICHIGUCHI Keiko où vous allez voir qu’il y a un parallèle entre l’autrice et l’artiste.
Japan Magazine : Pourquoi avoir choisi de faire cette biographie particulièrement et pas une autre personne ?
Keiko Ichiguchi : KIYOHARA Otama a été oubliée à son époque et pendant 50 ans, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est le dessinateur Andréa Accardi qui a découvert son travail lors d’une exposition à Palerme. Il a beaucoup aimé son travail et m’a proposé ce projet retraçant la vie d’Otama.
Japan Magazine : Est-ce que vous connaissiez ce personnage avant la proposition d’Andréa Accardi, ou est-ce avec cette proposition que vous avez commencé à vous renseigner sur elle ?
Keiko Ichiguchi : C’était la première fois que j’entendais son nom. À partir de là, j’ai voulu me renseigner davantage sur ce personnage. J’ai découvert au fur et à mesure de mes recherches qui était Otama. Au début, ce n’étaient pas des points spécifiques qui m’ont attiré, mais après avoir accepté la proposition d’Andréa Accardi, j’ai commencé à envisager diverses approches. Je me suis rendu compte que si je ne comprenais pas ce qu’elle ressentait, je ne pouvais pas raconter son histoire.
Japan Magazine : Y a-t-il des similitudes entre votre vie et celle d’Otama ? Est-ce que cette vous avez vécu une situation qui vous a aidée à comprendre et raconter l’histoire d’Otama ?
Keiko Ichiguchi : Oui, nous avons en commun de nous être rendues en Italie depuis le Japon et d’avoir épousé un Italien. Moi, cela fait 31 ans que je vis en Italie. Quand je suis en Italie, le Japon me manque, et vice versa. Je suis persuadée qu’Otama a ressenti la même chose. Pendant le COVID, j’ai vécu cet isolement et ce sentiment de séparation, ce qui m’a permis de me connecter davantage à son histoire. Pendant cette période, j’ai éprouvé un parallèle avec ce qu’aurait pu vivre Otama à son époque. J’ai imaginé différentes approches pour comprendre son personnage, mais au début, cela n’a pas marché. J’ai continué à me documenter, établi une chronologie précise de sa vie et j’ai fini par entrevoir ce qu’a pu être sa vie, à ma manière. C’est ainsi que j’ai pu raconter son histoire à ma façon.
Japan Magazine : Combien de fois retournez-vous au Japon ?
Keiko Ichiguchi : Je retourne au Japon deux à trois fois par an. Avant, c’était plutôt une fois par an, mais depuis le 11 mars 2011, je fais en sorte d’y retourner plus régulièrement.
Japan Magazine : Pourquoi avez-vous choisi de raconter l’histoire en format de bande dessinée plutôt qu’en manga ?
Keiko Ichiguchi : J’ai voulu m’adresser directement au lecteur français. Le sens de lecture japonais-français est juste une question d’angle. Les ouvrages que j’écris en japonais pour le marché japonais sont dans le sens de lecture japonais. Mais pour le marché français, j’ai choisi le format bande dessinée car j’écris en italien et cela me paraissait le plus évident.
Japan Magazine : Avez-vous des auteurs de bande dessinée que vous appréciez particulièrement ?
Keiko Ichiguchi : Oui, parmi les artistes italiens, j’aime Sergio Toppi, et les bandes dessinées de Milo Manara. J’aime aussi les dessins de Moebius, même si je ne comprends pas toujours l’histoire. Les dessins sont très minutieux et je me concentre souvent sur une case en particulier. Mario Alberti, un ami à moi, publie aussi en France et aux États-Unis et ses dessins sont très beaux. J’aime aussi Tintin, même si pour moi c’est difficile de les lire, que ce soit en italien ou en français. Ce n’est pas une question de langue, mais parce que la narration est différente. En bande dessinée française, les dessins sont extrêmement minutieux et j’ai tendance à me concentrer sur une case en particulier. J’aime aussi les bandes dessinée où c’est une femme Suisse (NDRL : il s’agit de Bécassine la traductrice et moi avions mis quelques secondes pour trouver) qui est le personnage centrale, même si je ne comprends pas trop l’histoire mais le style de dessin me plaît, je le trouve très mignon.
Japan Magazine : Quel est votre point de vue sur l’intelligence artificielle en tant que dessinatrice de bande dessinée ou de manga ?
Keiko Ichiguchi : Je pense que l’intelligence artificielle peut être considérée comme une menace, surtout pour les dessinateurs qui font des dessins réalistes. Pour ceux qui conçoivent des personnages plus déformés et personnalisés, je ne suis pas sûre que l’IA puisse faire la même chose actuellement. Pour le manga, il y a tout le travail de découpage qui est nécessaire et complexe. J’ai vu des mangas dessinés par des IA, mais je ne pense pas que ce soit encore une menace réelle. En revanche, en ce qui concerne la traduction de manga, je pense que l’IA représente une menace réelle, surtout quand les langues sont proches.
Japan Magazine : Il y a donc une certaine appréhension vis-à-vis de cette technologie ?
Keiko Ichiguchi : Oui, il y a une petite appréhension. Mon mari, Andrea Venturi, qui ne fait que du dessin, voit l’IA comme un danger réel. Un lecteur aujourd’hui n’est pas toujours capable de faire la différence entre un dessin fait à la main et un dessin numérique. Les gens vont s’habituer à des dessins réalisés numériquement et ne feront plus la différence entre un dessin fait par un humain ou une IA. Mais peut-être que les planches originales dessinées sur papier prendront de la valeur. En tout cas, de moins en moins de gens dessinent à la main, tout se fait sur ordinateur maintenant.
La rédaction remercie Miyako Slocombe, Stéphanie Nunez, Laura Pillon et Oscar Deveughele pour la traduction et l’organisation de l’interview.
© 2024 Keiko Ichiguchi – Andrea Accardi – KANA (Dargaud-Lombard s.a)
Interview réalisé par Hui-Ping PANH