Retrouvez les peintures de Tomona Matsukawa exposées à la galerie Ceysson et Bénétiere jusqu’au beau milieu de l’été.
Par une soirée de printemps ensoleillée à Paris, nous avons rencontré Tomona Matsukawa lors de l’exposition As I Am à la galerie Ceysson et Bénétiere, où elle nous a plongés dans son univers artistique. L’exposition consiste en une série de tableaux réalisés en interviewant des femmes du même âge que l’artiste. Ces oeuvres ont été réalisées lors du séjour artistique de deux mois à Chaulmes, en Auvergne, proposé par la galerie. Le processus créatif est fortement intéressant : entre portraits de femmes, hyperréalisme, lumière et délicatesse, nous découvrons l’univers élégant de Tomona Matsukawa. Son sens du détail se démarque lorsqu’elle peint les mains de ses sujets, particularité récurrente dans ses peintures.
© Tomona Matsukawa, tous droits réservés
L’inspiration des peintures vient des femmes que vous avez interviewées. Cette inspiration surgit-elle après leurs interviews ?
La plupart du temps, je suis inspirée après les avoir interviewées, cela parce que je n’interviews pas les femmes avant de décider de peindre mes tableaux. Comme il s’agit du travail de ma vie, j’ai l’habitude de parler à de nombreuses femmes et de recueillir des entretiens avec elles. Je choisis ensuite leurs contenus, afin de les illustrer à chaque exposition.
© Tomona Matsukawa, It’s a long time ago, but it never fades in my mind, 2024, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson & Bénétière.
Concernant le tableau At that time au sein de l’exposition, pourquoi avez-vous choisi de peindre une plante et l’inspiration vient-elle des film still ?
Il est tout à fait compréhensible que mes peintures ressemblent à des film still. En effet, mes peintures capturent des scènes de vie des femmes. Je pense que cela ressemble à un extrait de film parce que je représente une scène d’une journée remplie d’histoires différentes. Dans At that time, les motifs végétaux sont des plantes d’intérieur qui se trouvaient dans les chambres d’une femme au moment de l’interview. Il s’agissait d’une longue interview, et le temps s’écoulait du matin au soir. La direction de la lumière du soleil suivait ce changement. J’ai voulu capturer le moment où la lumière du soleil qui brille dans sa chambre se reflète à l’intérieur et fait miroiter les plantes d’intérieur.
© Tomona Matsukawa, At that time, 2024, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson & Bénétière.
Le visage des femmes n’est pas visible sur vos peintures. Pourquoi ?
Dans cette exposition, certains tableaux représentent partiellement des visages. Cependant, je ne peins pas les visages clairement de face, comme dans les portraits. C’est parce que je veux représenter l’ensemble des personnes vivant dans le présent, et non un individu en particulier. Si je représente clairement des visages individuels, seule l’histoire de l’individu est mise en lumière. Mes peintures partent d’un dialogue avec un individu particulier, mais mon intention est de transformer l’histoire de ce dernier en un portrait de la société dans son ensemble.
© Tomona Matsukawa, Finally, 2024, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson & Bénétière
D’où vient l’inspiration pour les motifs naturels ? Par exemple, la fleur dans I Don’t know if it was the right decision, but at least don’t regret it qu’est-ce que cela signifie ?
Les fleurs sont souvent utilisées comme métaphore pour décrire les femmes, que ce soit au Japon ou dans les sociétés occidentales. Cependant, le fait que « les femmes soient comme des fleurs » est construit par la société et semble imposer aux femmes l’obligation d’être belles comme des fleurs. La femme représentée sur ce portrait se rend chez un fleuriste une fois par semaine pour choisir des fleurs pour sa chambre. Lors de l’interview, elle m’a confié que si on lui dit d’être belle comme une fleur, elle veut pour le moins choisir elle-même la fleur qu’elle souhaite incarner. Ce tableau exprime la force d’une femme qui veut choisir son propre mode de vie, plutôt que de se contenter de suivre l’image que lui impose la société.
© Tomona Matsukawa, I don’t know if it was the right decision, but at least I don’t regret it, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson et Bénétière
C’est la première fois que vous peignez un grand tableau. Qu’en pensez-vous ?
Il y a deux tableaux dans l’exposition (195×144 cm et 162×130 cm). C’était un grand défi, mais ça a été très amusant.
Dans l’œuvre That time might be the most calming for me vous indiquez l’heure et la date. Pouvez-vous nous en dire plus su ce choix ?
Au sein de ce portrait, nous pouvons voir qu’il fait jour à travers la fenêtre. Mais la femme porte une robe de soirée. Mon intention était de faire apparaître l’image du soir d’avant (last night), où elle boit avec ses amis. Mais étant fatiguée, elle arrive à s’échapper de la nuit bruyante et des gens. Malgré cette évasion, c’est précisément à 0:22 qu’elle se sent elle-même. Je tiens à mentionner une autre peinture liée à la vie nocturne : After that all I hear is the sound of the rain. J’avais une amie qui traversait une période difficile après avoir rompu avec son petit ami. Un jour de pluie, elle nous a invités chez elle pour boire un verre. Comme vous pouvez le voir, il y a une robe de soie sur la table et un seul verre de vin qui symbolise ses sentiments et sa solitude. Même si elle a du mal à s’en sortir, elle veut toujours profiter des petits plaisirs de la vie.
De droite à gauche : © Tomona Matsukawa, That time might be the most calming for me, 2024, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson & Bénétière.
© Tomona Matsukawa, After that all I hear is the sound of the rain, 2024, Huile sur lin montée sur panneau, Courtesy Ceysson & Bénétière.
Le livre Seins et Œufs de Mieko Kawakami dépeint un univers au féminin. Pourriez-vous le comparer avec vous peintures ?
Récemment, j’ai lu le roman Seins et Œufs. Dans ce dernier, le désir d’avoir un enfant, l’angoisse et l’hésitation sur la façon de vivre en tant que femme sont dépeints de façon saisissante. Lors de mes recherches pour mes peintures, j’ai souvent parlé à des femmes du genre de luttes décrites dans Seins et Œufs. J’ai l’impression que le roman de Kawakami et mes peintures ont un je ne sais quoi en commun dans la mesure où, je veux dépeindre les sentiments que nous éprouvons toutes à cette époque.
© Aurélien Mole, Vue in situ de la galerie.
Tomona Matsukawa est bien connue au Japon, et elle expose pour la première fois en Europe, en particulier à Paris. Ses peintures, souvent réalisées en collaboration avec des marques célèbres telles que Chanel, ont un caractère hyperréaliste. De loin, elles ressemblent à des photographies, mais de près, elles reproduisent fidèlement les veines d’une main, le détail d’un pétale ou encore une page de journal intime déchirée. Jusqu’au 13 juillet, frappez à la porte d’un Japon féminin intime et universel.
INFO PRATIQUES :
Lieu : Galerie Ceysson et Bénétière
Date : du 16 mai 13 juillet 2024
Prix : Gratuit
Adresse : 23 Rue du Renard, 75004, Paris – Ligne 1, 11 Hôtel de Ville
Image de couverture : © Tomona Matsukawa, After all, I couldn’t keep it completely hidden, 2024, Huile sur toile de lin montée, détail, Courtesy Ceysson & Bénétière.
Par Paolo Falcone