Hironobu Sakaguchi, le père de la saga Final Fantasy trouve intéressant l’intelligence artificielle.
Nous avions eu l’occasion de rencontrer Hironobu Sakaguchi lors de son passage à Monaco pour l’évènement MAGIC qui a eu lieu en février dernier. À l’occasion de la sortie du jeu Final Fantasy XVI (22 juin 2023), revenons sur son parcours et partons à la découverte de ses projets
Japan Magazine : Après toutes ces années, la saga Final Fantasy est toujours populaire. Comment vous sentez-vous à présent ?
Hironobu Sakaguchi : Alors, je dirais que je me sens un peu comme un parent qui voit son enfant devenir un grand joueur de football (NDLR : peut-être une référence à Yoichi Takahashi qui était présent à l’évènement ?). Donc je suis très, très heureux du succès de la licence. Et actuellement, je ne suis plus impliqué. Mais j’ai une totale confiance en Naoki Yoshida, et également Yoshino Kitase, qui est une sorte de disciple pour moi et à qui j’ai passé le relais quand je suis parti, et c’est lui qui a fait le remake du septième opus. Et d’ailleurs, je suis un grand fan de Final Fantasy XIV, qui est un RPG. J’y joue cinq à six heures par jour depuis un an et demi. Donc je continue de suivre ce qui se fait à travers ce jeu. Et en fait, je discute régulièrement avec Naoki, on se fait des barbecues japonais… Nous sommes vraiment amis et je sais qu’il respecte beaucoup mon travail. Et enfin, le travail qui a été fait par l’équipe sur les Final Fantasy I à VI, je sais qu’ils les ont intégrés même dans le quatorzième opus, et c’est lui qui a développé le seizième opus. Donc, en fait, je suis complètement rassuré et en confiance quant à l’avenir de la licence.
JM : Même si vous avez laissé la franchise, Final Fantasy a connu le succès sur différents supports, que ce soit les jeux vidéo, les films, les romans et les mangas. Quels types de supports pourraient vous intéresser et qu’aimeriez-vous voir à l’œuvre ?
HS : Comme je ne suis pas impliqué, je n’ai jamais vraiment réfléchi à cette question. En revanche, je m’intéresse beaucoup à la réalité augmentée et à la réalité virtuelle. Donc je me dis que si la licence devait être développée sous une autre forme, dans un nouveau média, ce serait peut-être ceux-là. Ce serait intéressant d’explorer la réalité augmentée. Ce serait amusant de voir le monde de Final Fantasy intégré au monde réel. Parfois, il m’arrive de me demander : « Est-ce que je n’ai pas une idée qui émerge par rapport à la réalité augmentée ? » Mais bon, ce n’est pas le cas pour le moment. Peut-être que j’aurai une idée, peut-être qu’une autre personne aura des idées, et à ce moment-là, ce sera intéressant à observer.
JM : Disons que cela devienne possible. Comment et de quelle manière vous vous y prendriez ?
HS : Alors, comme je n’ai pas d’idée précise, il est un peu difficile de se projeter. En réalité, la question préalable serait de savoir quel type de matériel serait disponible. Quel genre de machines existent ? Il semblerait qu’Apple soit en train de développer quelque chose. En fonction de ce qu’il sera possible de faire avec ces machines, si cela suscite suffisamment d’excitation, si cela semble amusant à imaginer, je suis convaincu qu’il y aurait beaucoup de choses à faire. Personnellement, à ce jour, je suis toujours dans la création, j’ai encore une équipe de développement, etc. Donc si l’occasion se présente, si le moment est propice, j’aimerais bien utiliser cette opportunité pour une nouvelle création.
JM : Globalement, sur tous ces projets actuels ou passés, comment travaillez-vous et comment vous vient l’inspiration créative ?
HS : Il y a une part où je travaille seul. Cela concerne principalement la réflexion, notamment en ce qui concerne le design. Si je prends l’exemple de mon jeu Fantasian, cela concerne les décors et la décision d’utiliser des dioramas, par exemple. Bien sûr, il y a aussi une réflexion approfondie sur le scénario. C’est une réflexion poussée, car cela inclut le pitch, mais aussi la réflexion sur l’intégration du système. Donc il y a une partie qui se superpose un peu à la production et qui commence déjà à se projeter dans la production. Une fois cette phase terminée, je constitue une équipe de production pour passer à l’étape suivante.
JM : Parmi tous les personnages que vous avez créés, y a-t-il un personnage que vous auriez aimé incarner dans cet univers ?
HS : Je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette question. Mais comme je le disais tout à l’heure, je suis très immergé dans Final Fantasy XIV, donc j’ai mon propre personnage. Hier, lors d’une séance de dédicaces, quelqu’un m’a offert un portrait, mais en fait, ce n’était pas un portrait de moi, mais de mon personnage. Et je me suis dit que cela me faisait encore plus plaisir que si c’était un portrait de moi dans la vraie vie. Cela signifie donc que j’ai un réel attachement pour ce personnage, peut-être même plus qu’à moi-même.
JM : On parle beaucoup d’intelligence artificielle en ce moment. Nous voyons sur d’autres sites des choses incroyables créées, comme des photos. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que cela vous concerne en tant que créateur de jeux ? Est-ce que cela pourrait nuire à votre travail ou comment le voyez-vous ?
HS : En ce moment, je suis en train de concevoir un nouveau projet, et par curiosité, j’ai demandé à Chat GPT d’écrire un épisode pour moi, juste pour voir ce que cela donnerait. Cela ne signifie pas forcément que je l’utiliserais, peut-être que je m’inspirerais de certains éléments, je ne sais pas encore. Mais j’ai trouvé cela intéressant, une piste créative intéressante. Je pense que nous arrivons à une époque où les intelligences artificielles vont nous proposer de nouvelles idées, et qu’il y a peut-être un équilibre à trouver également sur le plan créatif. Je ne pense pas que cela puisse nuire à mon travail. Personnellement, je ne vois pas cela de manière négative, car je pense que c’est utile dans tout ce qui concerne la recherche d’informations et la vérification de faits, d’éléments précis qui prennent du temps. Par exemple, dans le cas d’un médecin confronté à une maladie rare, cela permettrait de trouver plus rapidement les informations nécessaires pour traiter cette maladie, ou un avocat pourrait rassembler plus rapidement des informations pour résoudre un problème juridique. J’ai une vision assez positive de cet outil. Ce ne sont que des exemples, mais actuellement, au Japon, il y a de nombreux matchs de shogi opposant une intelligence artificielle à un professionnel de ce jeu. Jusqu’à présent, c’est l’humain qui a remporté la victoire. Cependant, comparé aux joueurs d’avant, les joueurs actuels ont un niveau beaucoup plus élevé, et donc ils jouent différemment. Je constate donc que le fait d’être confronté à une intelligence artificielle et de jouer contre elle fait également évoluer et monter en niveau l’être humain. Je me dis que si une intelligence artificielle permet à l’être humain de s’améliorer, de devenir plus fort, d’acquérir de nouvelles compétences, alors c’est bénéfique.
JM : Un dernier mot sur votre actualité, quels sont vos projets ?
HS : Comme je l’ai mentionné précédemment, j’ai commencé à travailler sur un nouveau scénario pour un nouveau jeu. Je n’ai pas encore de titre à annoncer, mais cela devrait voir le jour d’ici trois ans et demi à quatre ans.
La rédaction remercie l’équipe de Magic (Sahé Sibot, Sophie Fabrello, Cédric Biscay)
Interview par Hui-Ping PANH
Crédit Photo : Fabbio Galatioto / Shibuya Productions