La nouvelle exposition de la belle saison à la Maison de la Culture du Japon, sur le « Diable de la photographie » japonais du XXe siècle.
Dans une journée de printemps timide, Rossella Menegazzo, commissaire de l’exposition de Ken Domon, nous a accompagné à la découverte de ce photographe aux mille nuances. Ken Domon (1909 – 1990) est une personnalité éclectique dans le paysage de la photographie contemporaine. Au sein de ses ouvrages, on retrouve un fil rouge : le souci de représenter un Japon réel. Un Japon qui empiète sur trois périodes marquantes du XXe siècle nippon : l’avant-guerre, pendant la guerre et l’après-guerre.
© Carrefour à Ginza 4-chôme, Tokyo, 1946, Ken Domon Museum of Photography
© Femmes se promenant, Sendai, 1950, Ken Domon Museum of Photography
Ken Domon a une carrière prolifique. En 1935, il commence à travailler pour le studio Nippon Kōbō (日本工房), dont la revue avait une mise en page moderne. Fondée par Yōnosuke Natori (1910 – 1962), la revue avait pour but de promouvoir la culture japonaise à l’étranger. Ses premières photos se font porte-parole de la jeunesse japonaise à la maison de la culture du Japon : dans la série Péninsule d’Izu (1936), nous voyons des jeunes en train de pêcher des poissons ayu (アユ).
© Pont Musaibashi de l’étang Garyô-ike, temple Eihô-ji, Gifu, 1962, Ken Domon Museum of Photography
Néanmoins, la politique japonaise de l’époque consolide son caractère autoritaire, et commence une campagne de propagande de guerre, en interdisant toute association culturelle qui poursuivait un autre but. Ainsi, Ken Domon commence à photographier les différents pelotons de l’armée japonaise. Au sein de l’exposition, nous retrouvons représentés devant nous aussi bien des jeunes soldats que femmes de la Croix-Rouge. Le photographe suit le même procédé que pour toutes les photographies de propagande : un cadrage en contre-plongée, avec plusieurs lignes convergentes qui exaltent l’esprit de cohésion et la force du groupe.
Avec l’éclatement de la guerre, le photographe se voit restreint dans le choix de sujets. Seulement, seuls les sujets considérés « nécessaires » pouvaient être promulgués. Il décide donc de s’éloigner du photojournalisme, pour se consacrer à la promulgation culturelle du Japon. Il commence par photographier des temples bouddhiques et le bunraku (文楽), qui en japonais signifie « théâtre de marionnettes ».
© Pierres dans l’étang Kongôchi du jardin du temple, Saihô-ji, Kyoto, 1963, Ken Domon Museum of Photography
Avec l’aboutissement des atrocités de la guerre, le Japon se reconstruit. Pendant les années de l’occupation américaine, Ken Domon aussi se reconstruit. Il embrasse le nouveau courant du réalisme, grâce à la rencontre avec les photographes français, tel que Cartier-Bresson, et des contacts avec les photographes américains. Il montre la misère du Japon bombardé et délabré par la guerre, en même temps que les nouveaux fastes occidentaux : la mode se répand, les affiches occidentalisantes également, suivies par une prolifération de panneaux lumineux.
Soucieux de montrer la réalité de son pays, dans cette période, il a réalisé plusieurs types de recueils sur deux thématiques majeures : les enfants, et Hiroshima après la bombe. Ken Domon prend en cliché des enfants pour mettre en lumière la condition des zones rurales plus pauvres. Tel est le but des séries exposées, intitulées Les enfants de Chikuhō (1960) et Le père de Rumie est mort (1960). Les deux racontent les conditions des citoyens du territoire du Chikuhō. Ces territoires, situés dans le département de Fukuoka, étaient riches en charbon. Le gouvernement japonais a exploité les mines de charbon pendant des décennies avant le passage au pétrole, laissant ces territoires appauvris, dans la misère.
Les photos ont été imprimées sur du papier off-set, avec de l’encre noir épaisse. La série Enfants en collaboration avec Yūsaku Kamekura (1915 – 1997), designer graphiste, publié par le Nikkor Club, est révélatrice de cette technique. Les enfants, qui viennent tous de quartiers défavorisés des villes japonaises, sont souvent représentés pris dans des moments de spontanéité, lorsqu’ils jouent par exemple.
© Enfants faisant tourner des parapluies, Ogôchimura, photographie de la série Enfants, vers 1937, Ken Domon Museum of Photography
© Le lézard, Kôtô, photographie de la série Enfants, 1955, Ken Domon Museum of Photography
© Soeurs sans leur mère, photographie de la série Les enfants de Chikuhô, 1959, Ken Domon Museum of Photography
Ken Domon se rend à Hiroshima le 23 juillet 1957 à 14h40, comme il en fait mention dans son carnet. Depuis ce jour-là, il s’y rendra six fois et collectionnera plus de 7 800 clichés, dont seulement 180 seront sélectionnées. La série Hiroshima (1958) soulève de vrais scandales au sein de l’opinion publique japonaise. Personne n’était au courant de ce qu’il se passait à Hiroshima, après la bombe. Ken Domon est le premier à répertorier ses conséquences : les victimes de la bombe nucléaire (hibakusha 被爆者), les blessées, et les dégâts matériels de la ville. En 1977, Ōe Kenzaburo le cite dans la revue Shinchō en disant que Ken Domon a été le premier à documenter la vie à Hiroshima, et non pas la mort.
© Le Dôme de la bombe atomique et la rivière Motoyasu, photographie de la série Hiroshima, 1957, Ken Domon Museum of Photography
© La mère, photographie de la série Hiroshima, 1957, Ken Domon Museum of Photography
© Enfant aveugle, photographie de la série Hiroshima, 1957,Ken Domon Museum of Photography
L’avant dernière collection proposée par la Maison de la culture du Japon, est la collection des Portraits (1953). Dans cette série, nous pouvons voir l’ampleur du réseau de Ken Domon dans le milieu culturel japonais : des écrivains tels que Mishima et Tanizaki, des réalisateurs comme Mifune et Ozu, ainsi que le peintre Fujita et le sculpteur Noguchi, ou bien encore des actrices des acteurs, et même des statues qu’il disait de photographier comme des personnes. Chaque photographie est suivie du nom de la personne, de la profession et de la date de la prise.
© Yoshiko Kuga (actrice) et Yasujirô Ozu (réalisateur), 1957, Ken Domon Museumof Photography
© Tsuguharu Foujita (peintre), 1948, Ken Domon Museum of Photography
L’exposition prend une tournure colorée, avec la série de photos Pèlerinage aux temples anciens. Elle consiste en une série de plusieurs photos prises entre 1963 et 1975, réunissant 462 photos en couleur et 325 photos en noir et blanc de statues et temples – 40 environ – construits entre le VIIe et XVIe siècle. Le sujet central de cette série est le temple Murō-ji, situé à Nara, la première capitale historique japonaise. C’est un ouvrage très précieux, qui documente la finesse de l’architecture, de la sculpture, des jardins et des paysages autour de ces bâtiments. Si vous n’êtes pas fatigués à la fin de l’exposition, concentrez-vous sur l’exaltation de la répétition architecturale des temples, soulignée grâce au cadrage serré de Ken Domon.
© Pagode du temple Murô-ji sous la neige, Nara, 1978, Ken Domon Museum of Photography
© Les mille torii du sanctuaire Fushimi Inari, Kyoto, 1962, Ken Domon Museum of Photography
Avec l’arrivée du beau temps, nous n’avons pas forcément envie de nous renfermer à l’intérieur, mais nous vous garantissons que si vous rentrez dans le monde de Ken Domon, vous n’aurez pas l’impression de renfermement. Au contraire, vous vous poserez sur la fenêtre de son monde, pour le dénicher et le contempler.
Informations pratiques :
Lieu : ulture du Japon, 101 bis Quai Jacques Chirac, 75015 Paris
» data-type= »URL » data-id= »Lieu : Maison de la culture du Japon, 101 bis Quai Jacques Chirac, 75015 Paris
» target= »_blank » rel= »noreferrer noopener »>Maison de la culture du Japon, 101 bis Quai Jacques Chirac, 75015 ParisPériode : 26 avril – 13 juillet 2023
Prix : Gratuit, avec possibilité de réservation de groupe.
Image de couverture : © Yoshiko Yamaguchi (actrice), 1952, Ken Domon Museum of Photography
Par Paolo Falcone