Des nuances couleur glycine qui nous emportent dans des évocations d’un Japon paisible.
Le mois le plus long de l’hiver a commencé depuis quelques jours. Les vacances sont terminées, et le quotidien reprend le relais, dans une brume électrique qui rend ouaté tout ce qui nous entoure. Parfois des rayons de soleil apparaissent dans le ciel et illuminent nos chambres, et nous font sortir un peu de la torpeur hivernale.
Lorsque le soleil embrassait la table de cuisine, nous avons interviewé l’artiste et illustratrice Elora Pautrat. Passionnée du Japon depuis son enfance, elle crée des estampes virtuelles sur des paysages urbains japonais, notamment de Tokyo. Ces estampes ont des nuances de bleu, violet et rose, qui apaisent le spectateur et le font plonger dans une rêverie. Ainsi plongeons, pendant quelques minutes, dans l’univers d’Elora.
© Elora Pautrat – Sakura Jinja
Q : Comment vous vous appelez et où est-ce que vous habitez actuellement ?
R : Je m’appelle Elora. J’ai grandi en Savoie, mais je vis actuellement en Écosse. Je travaille en tant qu’artiste 3D pour les jeux vidéos ainsi qu’en tant qu’illustratrice, même si dernièrement, je me concentre essentiellement sur ce dernier médium, car il m’apporte plus de liberté.
Q : Pourquoi avez-vous décidé de vous installer en Écosse ?
R : Il y a plusieurs pays que je chéris, comme l’Italie, le Japon et la France, mais le Royaume-Uni m’a toujours attiré. De plus, en tant que freelance, c’est plus simple de pouvoir louer un appartement, et c’est moins contraignant pour faire des démarches administratives.
© Elora Pautrat – Neko Shrine
Q : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser des pièces artistiques avec cette technique ? Est-ce que cette technique a nom précis ?
R : Je n’ai pas vraiment décidé, cela m’est venu avec le temps. Cependant, je pense pouvoir dire quand cela a commencé ! Lorsque j’avais douze ans, en arts plastiques, un de nos exercices était de créer un paysage en utilisant juste un camaïeu d’une couleur. Je me souviens avoir choisi la gamme bleu-vert et d’avoir trouvé le résultat incroyablement reposant – ma mère a d’ailleurs toujours cet artwork encadré chez elle -.
C’est assez incroyable de voir le chemin que j’ai parcouru, et j’avais déjà choisi un paysage du Japon à l’époque ! Je n’en avais pas conscience, mais cela m’a suivi pendant toute mon évolution artistique, qui a surtout mûri après le lycée. Je voulais recréer des paysages urbains, mais avec le même calme, la même sérénité que l’on retrouve dans les paysages des estampes japonaises. Dépeindre Tokyo, non pas comme la ville qui ne dort jamais que l’on connaît tous et voit partout, mais ses petites allées, tranquilles et suspendues dans le temps.
Pour la palette de couleur, j’ai été inspirée par la thérapie des couleurs, les tons violet-bleus et les couleurs pastel sont connus pour être relaxant, et c’est avant tout le but de mon travail. Quant au nom de la technique, je ne sais pas trop : j’aime l’idée que j’ai su créer mon propre univers, donc je ne sais pas comment l’appeler. C’est avant tout un mélange de beaucoup d’inspirations et d’expériences qui, au fur et à mesure des années, a pris cette forme.
Q : Est-ce le Japon une source d’inspiration ?
R : Oui ! Tout est une source d’inspiration, mais je prends beaucoup plus plaisir à dessiner le Japon que l’Écosse, par exemple, même si j’y réside. Chaque endroit m’inspire de manière différente et quand je pense au Japon, je ressens ce besoin de le dessiner comme cela. J’ai grandi bercée par les films du studio Ghibli, et plongée dans les artbook d’estampes japonaises. Depuis toute petite, cette culture et ces paysages avait leur place dans ma vie. J’ai été fascinée par la représentation de la nature dans leurs ouvrages artistiques. Ensuite, je suis partie au Japon cinq fois, et j’ai eu un premier reality check : ce n’était pas du tout comme ça ! Bien que le côté contemplatif puisse se retrouver, les grandes villes japonaises sont loin d’avoir une cohabitation harmonieuse avec la nature.
© Elora Pautrat – Neko City
Q : Avez-vous d’autres sources d’inspiration ?
R : Comme je l’ai dit auparavant, j’aime dessiner des rues de Tokyo, sans personne. Lorsque je suis allée au Japon, je flânais dans les rues de la capitale japonaise, pour les analyser, et m’immerger dans cette ambiance. Pendant mes études, j’ai été également inspirée par les Impressionnistes et leur emploi des couleurs.
Q : Qu’est-ce qui suscite du calme dans les estampes japonaises ?
R : C’est leur côté « contemplation du paysage ». J’ai grandi dans les Alpes, et lorsque j’ai découvert les estampes japonaises, j’ai retrouvé un côté contemplatif du paysage. De plus, j’étais habituée à des paysages naturels à perte de vue, sans que personne ne rentre dans ce cadre. D’ailleurs, dans mes estampes, il y a de ça : il y a le côté expérience de paysages montagneux, lié à l’absence des personnages dans les estampes japonaises. Ce mélange me fait sentir petite, sans pour autant m’écraser. En plus, je pense que la prochaine fois que j’irai au Japon, je vais suivre un cours de création d’estampes japonaises, pour peaufiner la technique de gravure de bois japonais, que je voudrais intégrer à mon art.
© Elora Pautrat – Crescent Jinja
Q : Et le genre vaporwave a pu être une autre source d’inspiration ?
R : Oui et non. Quand on voit les illustrations finies, c’est l’une des premières choses à laquelle on pense, notamment à cause des couleurs que j’utilise. Mais ma démarche n’est pas du tout de créer du vaporwave. On va dire que le résultat est un accidental vaporwave.
Q : Vous avez dit que vous choisissez une palette de couleurs qui tendent à calmer l’esprit. D’où vient cette idée ?
R : Lorsque j’étudiais en Manaa (Mise à Niveau en Arts Appliqués), je suivais un cours de Graphic Design. J’ai vite découvert que l’emploi des couleurs était fondamental, tout d’abord pour moi. Quand je réalisais des estampes avec la gamme du bleu ou du violet, j’étais plus apaisée. Une fois que je me suis lancée sur les réseaux sociaux, j’ai eu des retours de mon public me disant que c’était très apaisant et que ça leur véhiculait du calme.
© Elora Pautrat – Nightwave (gauche) & Path of the Wind (droite)
Q : Dans vos estampes, vous mettez votre nom ou votre « nom d’artiste » en japonais. Pourquoi ?
R : C’est essentiellement pour éviter des problèmes de watermark. La plupart de gens pensent que ce n’est qu’un mot en japonais, et lorsqu’ils veulent l’utiliser librement, ils sont vite arrêtés, car mon prénom est écrit dessus !
Q : Avez-vous pu participer à des concours artistiques ?
R : À cause de la grande compétition qu’il y avait dans mon parcours universitaire, je n’ai jamais été attirée par la participation aux concours artistiques. Je préfère travailler avec des entreprises, avec des projets en freelance, pour pouvoir également gérer mon temps et pouvoir voyager dès que j’en ai envie.
Q : Avez-vous un nom d’artiste ?
R : Comme blague, j’ai commencé à m’appeler Owakita. « Owa » vient de la prononciation anglaise de mon prénom. « Kit » vient du surnom donné par mes camarades de l’école d’art, et le « a » finale, c’est juste pour rendre plus joli ce nom. Le résultat a été un nom très « japonisant », et j’ai été parfois critiquée comme quelqu’un qui voulait se faire passer pour japonaise. Ce n’est qu’un hasard et, je voudrais que les gens m’appellent par mon nom et prénom, mais c’est compliqué de changer de nom, car le public s’est habitué à ce pseudonyme. Par exemple, une fois, j’ai participé à un salon d’art, tout le monde cherchait le stand Owakita, alors que j’avais mis mon vrai prénom !
© Elora Pautrat – 4 p.m.
Nous vous conseillons d’aller voir les travaux d’Elora. Ayant grandi avec l’influence des anime, des manga et pleins d’autres éléments culturels japonais, les estampes d’Elora se font porte-parole de ce sentiment de nostalgie heureuse, du temps de notre enfance. Un temps qui se retrouve dans les ruelles tokyoïtes couleurs violettes d’Elora.
Image de couverture : © Elora Pautrat – Under the Neon Moon
Par Paolo Falcone