Ce manga, adaptation magistrale du roman éponyme sorti en 2011 de l’essayiste et écrivaine japonaise MIURA Shion, nous plonge dans l’univers de l’édition, dans un réalisme poignant, non dépourvu toutefois d’une certaine poésie. Laissez vous donc séduire par ce monde de lettres et de mots, qui se mêlent, s’emmêlent et se démêlent…
Vous vous demandez quel est le fil conducteur de cet ouvrage ? Sans aucun doute, l’amour des dictionnaires. Voyez-vous, chaque mot a une intention, une sensibilité qui lui est propre. Pourtant, un mot apparait dans nombre d’expressions, et possède moults significations, ce qui lui donne à chaque fois une définition à part bien singulière.
Créer un dictionnaire, c’est créer un sens commun, un savoir concis et objectif. C’est normer un langage partagé de tous. C’est actualiser les mots désuets qui ont acquis un nouveau sens avec le temps, ou bien au contraire supprimer les mots qui sont définitivement tombés dans l’oubli. Ce travail, fait de manière collégiale, vient pourtant buter contre l’expérience même des mots, qui se vivent individuellement, et différemment d’individu en individu. La subtilité du langage est en effet une affaire toute personnelle, qui s’expérimente de façon naturelle, intuitive, ou par association d’idées, afin d’exprimer au plus juste nos émotions. Des synonymes n’auront par exemple jamais tout à fait la même nuance, d’où l’importance de choisir son mot avec précision. Voire précaution.
Dans cette œuvre, nous entrons ainsi dans un univers éditorial où s’enchainent les publications de dictionnaires. Nous faisons tout de suite la connaissance de plusieurs personnages, dont ARAKI Kōhei, amoureux des dictionnaires, qui souhaite mener à bien le projet de toute une vie, celui d’éditer un nouveau dictionnaire, qu’il veut appeler Daitokai, traduit dans le manga par « La Grande Traversée ». Cependant, pour des raisons personnelles, ARAKI doit trouver un remplaçant. C’est alors que sa route va le mener à un employé de la section commerciale : MAJIME Matsuya.
L’individu est toutefois fort peu avenant : « cheveux en bataille, vêtements froissés » et visage endormi, ce nouvel élément n’aspire tout d’abord aucun dynamisme. Pourtant, dès qu’ARAKI lui propose de rejoindre leur projet, la passion pour les mots du jeune homme transparait. Véritable amoureux des lettres, il se délecte des mots, s’amusant de leurs définitions. Mais parviendra-t-il à réaliser ce grand projet ? A découvrir dans ce tome one shot !
Nos coups de cœur : L’immersion est progressive mais prenante. Nous nous sommes faits happés par cette histoire qui se base sur la quintessence même de notre langue. Nous avons aimé également les nombreuses métaphores qui tourne autour des mots et de leur impact. Une lettre d’amour, une note à la fin d’un livre… Tous ces mots ont un pouvoir, nous transmettant des émotions d’un simple coup de crayon.
Enfin, nous avons pu voir qu’au fil du récit, les personnages en contact avec Matsuya et La Grande Traversée évoluent, prenant inéluctablement confiance en eux. Comme si les mots avaient une influence sur leur perception du monde et d’eux-mêmes. Le collègue de Matsuya, Nishioka, n’était-il pas jaloux, vaniteux et paresseux avant de devenir fortement impliqué dans le projet ? Une métamorphose similaire se produira chez Midori, qui prendra au fur et à mesure confiance en elle, après s’être laissée séduire par ce monde d’encre et de papier…
Informations :
Auteurs : KUMOTA Haruko & MIURA Shion
Editeur VF : Le Lézard Noir
Parution : 25 août 2022
Prix : 18 €
Par Léa van Cuyck