Aujourd’hui, nous allons parler haïku et science-fiction. Et oui, ces deux univers à la fois ! Avons-nous titillé votre curiosité ? Eh bien, embarquez avec nous dans l’interview d’Anthoine Delahaye, auteur du premier livre de scifaïku francophone !
Interview :
1/ Bonjour Anthoine. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez intitulé votre livre « Mon jardin sur Ganymède » ? Auriez-vous été influencé par les récits de Dan Simmons, Arthur C. Clarke, A. E. van Vogt, Laurent Genefort ou bien encore par le célébrissime Isaac Asimov ?
Bonjour Japan Mag ! Alors tout d’abord, je dois vous avouer que j’ai mis du temps pour trouver le titre ! Au départ, je voulais qu’il s’intitule tout simplement « 100 haïkus de science-fiction », mais après avoir discuté avec mon éditeur, il fallait dessiner une porte d’entrée plus claire pour le lecteur.
« Mon jardin sur Ganymède », c’est avant tout un extrait d’un haïku, mais c’est aussi une métaphore de ce livre où fleurissent et s’étendent de petits poèmes, comme différentes histoires à humer, à observer ou à méditer.
Je suis de manière indirecte influencé par tous ces auteurs (bien que je n’aie lu qu’un seul livre de Clarke et un peu de Asimov), car ils ont chacun construit le genre. En effet, quand on lit de vieux livres de SF (« Fondation », par exemple), on se rend compte que beaucoup de thèmes ou d’éléments de décors ont été forgés il y a bien longtemps. Cela crée un effet étrange : nous lisons quelque chose que nous avons l’impression de déjà connaître, alors que c’est une première lecture.
Si vous voulez parler d’influences, j’aime beaucoup « Contact » de Carl Sagan, la nouvelle de Ted Chiang « L’histoire de ta vie » et le livre de Liu Cixin « Le Problème à 3 corps ». Ces trois œuvres exposent de différentes manières ce que pourrait être une rencontre du troisième type et elles le font avec intelligence. Je reconnais aussi des liens avec Douglas Adams, Fredric Brown (la nouvelle F.I.N. notamment), Jacques Sternberg ou encore Patrick Baud !
2/ « 100 haïkus de science-fiction » : comment vous est venue l’idée d’écrire des haïku et d’y mêler la science-fiction ? Ces deux termes semblent quelque peu antinomiques de prime abord, non ? Lorsque l’on évoque un haïku, on s’imagine instinctivement une célébration de la nature et des éléments, tandis que la science-fiction renvoie plutôt à des uchronies fortement dystopiques, avec notamment un usage outrancier des technologies qui contribue à la perdition de l’Humanité…
L’idée d’écrire des haïku de science-fiction (scifaïku pour les anglophones) m’est venue alors que je découvrais le haïku et que j’avais envie d’écrire des nouvelles de science-fiction. Je pensais alors que c’était quelque chose de totalement original et je me suis lancé dans l’écriture d’une centaine de haïku. Plus tard, j’ai découvert que ce genre hybride existait déjà, mais particulièrement dans le monde anglophone. Mon recueil est donc le premier livre de scifaïku francophone !
C’est vrai que le haïku traditionnel s’intéresse beaucoup à la nature, aux saisons (le mot de saison se dit kigo en japonais) et à quelque chose d’instantané. Mais plus on s’intéresse à cette forme poétique, plus on remarque que sa palette est bien plus large et qu’elle permet aussi d’aborder la spiritualité, l’humour, la politique. Un haïku de Shiki m’a beaucoup marqué et m’a lancé sur la piste s-f :
nuit sans fin
je pense à ce qui viendra
dans dix mille ans
3/ Quelles sont les thématiques qui vous ont le plus plu à aborder dans ce recueil ?
J’ai vraiment pris plaisir à aborder toutes les thématiques. Le but était de proposer un livre-jardin, avec plein de fleurs, d’essences et d’insectes vrombissants. Mais mon envie première était d’aborder des prises de conscience scientifiques ou astrophysiciennes à l’aune du détail ou du fragment. Allons plus loin : ce que je désirais aussi, c’est montrer que le monde qui nous entoure est déjà tellement incroyable, qu’il y a de la science-fiction dans notre quotidien, que ce soit un astronaute qui joue du saxophone dans la station spatiale ou encore une libellule qui croise notre route au bord d’un marais…
amateur de S.F.
captivé par le vol
d’une libellule
J’aime bien me poser des questions simples : Pourquoi une planète ne pourrait-elle pas s’appeler « Sylvie » ? Que se passerait-il si les premiers extraterrestres qui débarquaient sur Terre étaient juste des animaux herbivores ? Pourquoi est-ce que la technologie, qui est censée nous aider, nous empêche parfois de nous développer ? Est-ce que l’exploration spatiale des riches délaissera la planète Terre aux pauvres ? Qu’est-ce que dira la première femme qui posera le pied sur la Lune ?
Voilà quelques exemples.
4/ On peut voir sur la couverture de votre livre des illustrations bleues et orange, représentant la Lune, des poissons, des fleurs… Retrouve-t-on cette ambiance enfantine et douce dans vos haïkus ?
La couverture représente quelque chose d’un peu mystérieux, entre l’œil et la comète, une référence à l’un de mes haïkus :
une comète
traverse l’espace —
ton regard
À l’intérieur du livre, on peut voir une illustration représentant effectivement une lune, entourée de poissons et de fleurs. L’illustrateur, Léo Weiss, a imaginé une scène se voulant calme, exotique. Certains des haïku ont cette douceur, mais ce n’est pas le cas de la majorité.
Merci à Anthoine Delahaye pour avoir répondu à nos questions 😊