Interview à la Galerie Perspective avec Manon Besse Des Larzes : à la découverte des nouvelles frontières architecturales japonaises.
La première partie du mois de mai est souvent un moment de transition. Le semblant de printemps semble acquis, alors que pendant ce mois, la saison évolue entre l’hiver et l’été. Dans ce sens, l’ISNA studio design de Tokyo – fondé par Risako Noguchi et Ichise Taketo – veut tenter de transiter vers une architecture où l’eau, le numérique, la verdure, les matériaux naturels et les minorités dialoguent entre eux. Dans cette quête de l’autre, ils réfléchissent à toute la palette de gens qui existe au sein de la société – les personnes âgées, celles à mobilité réduite, ou bien appartenant à la communauté LGBTQIA+. Leur volonté est de bâtir un dialogue vertical – entre les minorités et ce qu’on considère comme la norme – et un dialogue horizontal – où homme, nature et architecture cohabitent en harmonie. Leur idéal est une ville positive, qui prendrait en compte ces quatre éléments.
Nous n’avons pas pu interviewer directement les deux fondateurs. Cependant, les mots de Manon Besse Des Larzes, commissaire de l’exposition, nous ont bercé dans un après-midi ensoleillé, lorsqu’elle nous a guidé dans cette promenade architecturale, où la nature et l’homme tentent de trouver un équilibre.
© Galerie Perspective
- Qu’est-ce que la Galerie Perspective représente ?
La galerie est née à l’initiative de Véronique Eloy qui est la directrice de la société Perspective, des ateliers et de la galerie. Elle est « fille de la pandémie » , moment historique où nous avons eu l’occasion de pouvoir réfléchir sur le vivre en la ville, et de pouvoir tisser des liens avec des spécialistes dans ce domaine, comme des architectes et des urbanistes.
Le but premier est : de vivre ensemble dans la ville au travers des pratiques de l’architecture. La galerie est aussi à l’activité de la société éponyme qui est spécialiste dans l’agencement d’espace et du design. Ce n’est pas un hasard si nous sommes en contact permanent avec les fabricants de la ville. De cet échange, plusieurs questions ont surgi : comment adapter au mieux la ville ? Comment mutualiser les espaces ? Comment passer de l’espace privé à l’espace partagé ? Dans ce sens, la galerie est un lieu dédié à la cité et à l’utopie à travers le filtre des artistes que nous exposons. « La ville : entre individualité et collectivité » est la troisième exposition. Avec les précédentes expositions, nous avons l’intention de concilier la ville avec sa vision utopique, avec une communication à la portée de tout le monde.
- Donc si nous avons bien compris, derrière cette galerie, il y a une volonté de vouloir saisir la ville du futur qui s’inscrira dans une nouvelle société ?
Exactement. Par exemple, dans cette exposition, le but est de savoir comment bien vivre en ville. Derrière, il y la tentative de réaliser une ville humaine qui mutualise les espaces, qui respectent les gens qui y vivent et de se rapprocher de la nature et des choses qui vont être importantes pour la ville de demain, tels que les outils numériques.
- Depuis combien de temps faites vous partie de cette équipe, et avec quel but ?
J’en fais partie depuis novembre dernier, aussi bien pour la galerie que la société. Cette dernière est tentaculaire, car elle a trois antennes sur le territoire français : Bordeaux, Limoges et Paris. J’ai été embauchée en tant que responsable de la communication à Paris. Mes missions concernent la création de contacts, l’apport de la notoriété et ainsi de suite. Pour cette exposition, j’ai pu prendre la casquette de commissaire d’exposition. Nous connaissions déjà l’artiste, et j’ai pu choisir les textes, écrire la brochure. Je suis également en contact avec les personnes du ISNA Design studio.
- D’où vient l’idée de vouloir valoriser et parler de ISNA Design Studio ?
Ils ont déjà participé à la première exposition de notre galerie intitulé La Cité : les utopies urbaines contemporaines. Pour cette exposition, nous avions un collectif de quinze artistes environ, dont plusieurs architectes. Tout de suite, nous avons apprécié leur travail minutieux et précis. Nous avons une grosse projection dans une ville humanisée, qui partage les espaces publics et privés. C’est une vision duelle, notamment présente au Japon où il y a beaucoup bâtiments collectifs. L’ISNA Design Studio cherche à faire en sorte que l’individu se sente bien dans une réalité collective. Ils tiennent beaucoup de représenter tout le monde, comme les personnes à mobilité réduite et la communauté LGBTQIA+.
- Ainsi, il paraît que ISNA Design Studio veuille transmettre un message d’inclusion. C’est pour cette raison que vous vous êtes intéressée à leurs projets ?
Disons que cette idée d’inclusion se forge dans le rêve d’une cité idéale et parfaite. Nous aimons beaucoup ce ralliement, car il y a des architectes et des illustrateurs. Leurs projets livrent les deux, avec ce côté un peu « naïf » de leurs dessins qui peuvent être destinés aux enfants, malgré le fait que chaque dessin ait un thème important.
Nous allons, à présent, voir des exemples de projet que le ISNA Design studio, dans la Galerie Perspective. La lumière de 15h filtrait à travers les feuilles de peupliers qui faisaient face à la Galerie, où les boiseries dégageaient une chaleur familière. Avant de nous plonger dans les plans du ISNA Design Studio, gardez en tête deux informations qui vous aideront dans la compréhension de leurs projets :
- Au Japon, la règlementation de l’immobilier est différente. L’espérance de vie de bâtiments tourne atours de 20-25 ans. Ce qui permet la rénovation constante et le jaillissement de nouvelles idées. Mais, comme les deux chefs du ISNA Studio ont dit : « les mauvaises perspectives économiques, l’augmentation du coût des matériaux, et les nombreux problèmes liés au nombre croissant de logement vacants rendent difficile l’accueil d’une nouvelle architecture expérimentale ».
- Le ISNA Studio Design imagine la ville comme une « ville inclusive » : où la nature – les points d’eau et les espaces verts –, les minorités et les matériaux naturels cohabitent dans cette cité idéale.
© Studio Isna Design
L’image sur la droite concerne la vision d’un future proche. Réalisé en 2019, il représenterait la ville de 2025. L’eau et le vert sont présents, avec le numérique grâce aux grands écrans, les hologrammes, etc. Pour eux, il fait partie du futur idéal.
L’image sur la gauche rassemble un seul projet sur trois plans :
© Studio Isna Design
En premier, nous avons « l’arbre » de face. Nous avons ensuite des matériaux : les logements sont construits entièrement en bois. Le point d’eau et le végétal – les arbres, les montagnes – et le numérique, sont quant à eux représentés par la couleur bleue.
© Studio Isna Design
Le logement est équipé avec du numérique, qui nous fait nous reconnecter à la nature. Par exemple, s’il y a du vent dehors, le numérique mettra le son du vent à l’intérieur. S’il pleut, nous allons sentir les gouttes à l’intérieur des bâtiments, et en cas de fortes chaleurs, l’ambiance deviendra plus lourde. Reprenant les mots dans l’interview avec la Galerie, les deux fondateurs expliquent cette démarche ainsi : « nous dessinons le monde numérique en différentes couleurs par-dessus le monde réel ».
© Studio Isna Design
Le dernier plan montrent des montagnes au fond. Trois éléments : numériques, nature, et minorité.
- Cette reconnexion dont ils parlent ne serait-elle pas de véhiculer une « fausse nature » ?
Il y a de ça aussi. Tout d’abord, ils pensent revenir aux bases. Personnellement, ça peut être paradoxal de lier nature et numérique de cette façon-là. Ils y croient vraiment, et si vous y pensez, les jardins japonais suivent le même procédé. Tout est étudié au détail pour que la nature du jardin reproduise la nature sauvage, mais en même temps, ils ont analysé comment observer chaque « vue de paysage » de tout angle, au sein du jardin. Mais je ne saurai pas vous dire avec certitude si on peut parler de « fausse nature », car du point de vue japonais, il se retranscrit dans leur vision des choses.
Pour terminer la courte exposition, Madame Besse Des Larzes nous a montré le projet du Bloc de vie bougeante, et deux projets qui ont été mise en place, au sein de deux communautés.
Bloc de vie bougeant en 2025 vs 2040 :
© Studio Isna Design
Les cloisons, les fenêtres et chaque pièce sont modifiables. Tout bouge. Dans le collectif, ils ont créé une intimité pour chaque personne qui y habite. Cela est une représentation significative qui incarne leurs méthodes pour créer ces projets.
Pour eux, c’est ce qui représente au mieux l’individu dans le collectif. La sphère individuelle ne va pas être éliminée au profit de la collectivité. En Occident, le logement est une affaire intime, alors qu’au Japon nous avons une réalité beaucoup plus collective. ISNA Design tente de rendre plus flous les contours de ces deux façons de penser.
Projet de Kobe :
© Studio Isna Design
Cela a été un projet pour améliorer la vie des communautés de la ville, qui permet de réduire la vitesse de la conduite en voiture. En plus, ils ont créé plein de lieux de rencontre pour les habitants. Ils ont retourné certains éléments afin que les gens ne soient pas forcément face à la route, mais face aux autres. Cela créerait des échanges, et donc une consolidation de la communauté. Nous retrouvons le côté propreté de la ville, de regroupement de la communauté de la ville de Kobe, au sein d’une nouvelle communauté, d’une nouvelle rue, et le côté prudent, car la route est adaptée à cette réalité.
Projet de Makuwari :
© Studio Isna Design
C’est une région pas très loin de Tokyo. Ce quartier qui a été réalisé de manière à favoriser les relations au sein de la communauté locale. Makuwari est une petite région, et ce projet se trouve dans une petite ville. Il implique les villageois dans les activités de cette nouvelle communauté : les cafés, les bureaux, des endroits pour faire du sport. C’est une petite ville dans la petite ville. Vous pouvez le penser comme une mise en abime. Pour le Studio, cette petite communauté plongée dans la nature est un exemple de ville positive. Il faut que ça donne envie d’y rester.
Ainsi, à travers cette promenade dans la ville positive du futur, nous voyons l’importance de l’un des concepts qui est à la base de la pensée japonaise qui se traduit en français par « dedans/dehors ». Dans l’après-guerre, les logements LDK (Living, Dingin, Kitchen) ont été la prédilection des architectes. Mais, aujourd’hui, ISNA Design Studio tente de retrouver un équilibre entre l’individualité dans la collectivité, et de la collectivité dans l’individualité. Ainsi, l’individu pourra bourgeonner avec la communauté, et sans les contraintes qu’elle lui pose.
Photo de couverture © Studio Isna Design
Par Paolo Falcone