Et si, dans le futur, c’était au tour du règne végétal ? Et si nous n’avions pas d’autres choix que de voir notre sang transformé en sève pour que notre espèce survive ? Le dessin sur la couverture de ce manga nous met en alerte : des fleurs prennent en effet racines dans un cœur humain et semblent s’abreuver de son hémoglobine… A quel destin va donc se confronter l’Homme de demain dans cette œuvre dont le titre signifie « Folle Nuit » ?
La double page du premier chapitre nous fait directement entrer dans le récit. Des corps désarticulés revêtent un mur urbain, entrelacés de branches, parsemés de fleurs écloses rose et blanches, tel un graffiti en relief et morbide d’un nouveau genre. Les passants n’y prêtent même pas attention, comme si ce spectacle était tout à fait ordinaire. La jeunesse y évoque d’ailleurs ses rêves et projets d’avenir sous cet ossuaire à ciel ouvert.
On apprend alors que depuis cent ans, un nuage opaque empêche les rayons du soleil d’atteindre la Terre, plongeant cette dernière dans une nuit noire, que l’on peut imaginer aussi épaisse que la poix. Sans lumière, les végétaux moururent alors, et la Vie n’aurait pu perdurer sans l’invention de la « transfloraison »… En devenant plantes (ou sanctiflore), les Hommes remplacèrent ainsi le maillon manquant qui leur permettait de continuer à respirer…
Nous faisons bientôt la connaissance de Toshiro, un jeune homme au regard éteint et à la mine fatiguée, qui travaille pour payer les médicaments de sa mère et ses futures études, avant que des évènements ne l’obligent à se rendre à l’Institut de Transfloraison…
Nos coups de cœur : Ce manga nous fait nous interroger sur ce qui caractérise le Vivant en lui-même. Par exemple, est-ce que l’on est toujours vivant même une fois devenu un être végétalisé, ou notre existence s’arrête-t-elle lorsque la plante s’est entièrement supplée à nous ? L’œuvre nous permet de philosopher également sur les limites entre l’éthique, le sacrifice et l’avarice, car chaque personne volontaire pour la transfloraison – qui doit cependant être condamnée à mort par la médecine – reçoit plus de dix millions de yens… Le manga pousse aussi notre perception actuelle de la propriété, chaque sanctiflore devenant le bien incontestable de l’Etat… Une fois mort, notre corps appartiendrait donc légalement au gouvernement… Hérésie ou probabilité futuriste ? On ne saurait dire. Enfin, le manga met en lumière, sans peut-être le vouloir sciemment, le phénomène des « évaporés » au Japon, ces gens qui disparaissent sans laisser de trace, pour diverses raisons, telles qu’un divorce ou un endettement. Ici, ce comportement est adopté par certains jeunes transflorés…
Quelques lectures associées : Cette œuvre nous a également fait voyager dans la littérature et le cinéma : la transformation du corps (en aliment, cette fois-ci) pour la survie des autres est présente dans Soleil Vert, adaptation de Richard Fleischer du roman éponyme de Harry Harrison ; la transformation des êtres humains en arbres se retrouve dans le film d’animation japonaise Origin de SUGIYAMA Keiichi ; et la transplantation d’une graine dans un corps s’est vue dans le manga Graineliers de TAKARAI Rihito, monde à l’inverse où avaler une graine est le plus grand crime qui puisse exister…
Informations :
Auteur : YASUDA Kasumi
Editeur VF : Glénat
Parution : 4 mai 2022
Prix : env. 7,60€
Par Léa van Cuyck