La galerie Echo présentent jusqu’au 20 mars 2021 un projet d’exposition sur un thème peu souvent abordé : celui de l’irezumi, l’art du tatouage japonais
ATTENTION : cet article contient des photos de nus.
5 photographes : Achim Duchow, Irina Ionesco, Chloé Jafé, Akimitsu Takagi et Hitomi Watanabe, dévoilent tour à tour différentes facettes de ceux qui les encrent et de ceux qui les portent. Si en occident le tatouage japonais fascine et est considéré comme un art à part entière, il reste au Japon tabou et souvent associé aux yakuza (mafia japonaise).
Irezumi, horimono, bunshin… Si le premier est le plus connu, les termes pour désigner la pratique du tatouage japonais sont nombreux. Il est par définition un artisanat, entièrement réalisé par la main d’un maître horishi, qui signe d’ailleurs la plupart du temps ses pièces.
Au Japon, le tatouage est aujourd’hui intimement lié à la criminalité, mais cela n’a pas toujours été le cas. Bien que le tatouage pénal ait existé et longtemps persisté, les premières traces de tatouage au Japon sont de nature spirituelle et religieuse : des statuettes funéraires et de fécondité de l’époque Jomon ont été retrouvées arborant des motifs sur le corps. Plus tard, on trouve également la trace de tatouages chez les Aïnu, (tribu aborigène du Nord du Japon).
L’esthétique même de l’irezumi telle qu’on la connaît aujourd’hui puise son origine dans l’art. À la fin du XVIIe siècle, avec le développement des techniques et des outils de gravure, l’estampe sur bois (ukiyo-e) se popularise largement. Des anti-héros de la littérature populaire aux corps recouverts de dragons, de tigres, de fleurs etc., s’invitent dans les foyers d’Edo. Une des théories avancées est que les graveurs sur bois se font alors artisans tatoueurs, et trouvent dans ce nouveau support qu’est la peau une nouvelle toile pour leur art.
Si les criminels se mettent à adopter les tatouages ornementaux pour camoufler leurs tatouages punitifs, ils ne sont pas les seuls à être séduits par les motifs inspirés des estampes. Au XIXe siècle, l’irezumi devient une mode en vogue parmi certains corps de métiers, comme les pompiers et les artisans. Certains éminents visiteurs étrangers, tels que ceux qui deviendront par la suite le Roi George V d’Angleterre ou le Tsar Nicolas II de Russie, se font également encrer la peau en guise de souvenir de leur passage au Japon.
L’écart entre perception occidentale et perception japonaise de l’irezumi persiste cependant encore de nos jours.
Contrairement à son cousin occidental, le tatouage japonais n’est pas fait pour être montré, ou même vu. « Je ne tatoue jamais au-delà du cou ou des mains. Je crois que la beauté est dans ce qu’on ne peut pas voir (…) La culture Japonaise, c’est d’ être dans l’ombre », confiait le horishi Horiyoshi III au média Vice en novembre 2017. C’est que l’irezumi est une histoire intime. Il parle de celui qui le porte, de ce qu’il est ou veut devenir.
Chaque élément du tatouage revêt une dimension toute personnelle et symbolique. Là où une carpe koï parlera de détermination, le dragon est symbole de sagesse, un lion une figure protectrice. Le tatouage n’est dévoilé qu’à des moments choisis, à des personnes choisies.
La galerie, pour cette exposition, a réuni 5 artistes d’horizons variés pour tenter de comprendre ce qu’est le tatouage japonais : des femmes, des hommes, de générations différentes, japonais, occidentaux, tatoués ou non, apportent chacun une vision singulière de l’irezumi. Que ce soit sur l’aspect symbolique, sur celui de l’appartenance à une famille, sur celui de la criminalité, sur son lien avec le divertissement qu’il présente aussi, le tatouage japonais se dévoile sous les angles des préjugés et de ses réalités.
Ces photographies (pour certaines inédites), dans le dialogue qu’elles permettent, racontent les paradoxes du rapport du Japon à son art du tatouage. Entre art et criminalité, entre honte et fierté de celui qui le porte, entre légalité et illégalité, on découvre avant tout des toiles vivantes qui parlent d’une subculture bien en chair, évoluant en marge et au coeur à la fois de la société japonaise.
À l’ère de la mondialisation, la vision bien plus positive sur le tatouage de l’occident et l’engouement du reste du monde pour l’art de l’irezumi changent lentement mais sûrement les choses. Les voix qui s’élèvent pour que le Japon reconnaisse cette tradition du tatouage entièrement réalisé à la main (dans la continuité de la tradition de l’artisanat au Japon) comme un art à part entière ne font aujourd’hui plus figure d’exception. Une génération de tatoueurs japonais a aussi commencé ces dernières années à élever la voix contre les restrictions mises en places par le gouvernement japonais contre les tatoueurs. Si l’actualité et la justice semblent de plus en plus enclins à leur donner une place, le cheminement est encore long pour casser des codes et des idées profondément ancrés dans la culture japonaise.
GALERIE ÉCHO
119 rue Vieille du Temple, 75003 Paris mercredi — samedi 12h – 19h www.galerieecho.com